April 18, 2008

 

Proust et fragonard

Quel petit salaud il était Proust – quel pervers ce petit bonhomme qui se baladait la nuit dans des endroits louches – y a que du sexe dans l’histoire que Proust nous raconte – du sexe partout – partout dans les mots -- il suffit de regarder de plus près pour tout à coup se dire – ah merde c’est ça que ça veut dire – c’est de ça que Proust nous parle ici – par exemple prenons -- à l’ombre des jeunes filles en fleurs -- ce merveilleux titre pastoral – cette petite phrase – je me sers du mot phrase dans le sens que Proust a donné à ce mot en parlant de musique – cette phrase qui nous invite d’aller nous promener dans la nature pour regarder les fleurs – eh bien si on regarde cette petite phrase de plus près – et surtout si on l’écoute bien – car chez Proust il faut aussi écouter les mots – il faut écouter les petites phrases musicales qui circulent dans l’histoire que Proust nous raconte -- comme s’il était en train de jouer du piano plutôt que de griffonner des mots sur du papier – la grande histoire que Proust nous a racontée c’est pas seulement de l’architecture – de la peinture – de la sculpture -- mais c’est aussi de la musique -- de la musique avant toute de chose – comme disait Verlaine -- seulement un grand musicien des mots aurait pu inventer Vinteuil – et la fille de Vinteuil – et Madame Swann – et le Baron de Charlus – ah quel musicien du sexe celui-là -- oui quand on lit Proust faut non seulement regarder les mots qui coulent devant nous comme l’eau d’une rivière -- excusez cette mauvaise liquide métaphore elle m’est tombée dessus comme un petite averse sans que je m’en rende compte – oui il faut écouter les mots de Proust -- comme Swann écoutait la petite phrase de Vinteuil avec passion -- phrase -- spécifie Proust en parlant de musique -- mais je me suis égaré dans la poésie de Proust – poésie et musique c’est la même chose -- Proust était aussi un grand poète – Beckett était peut-être le seul à avoir compris cela – parce que Beckett quand il lisait Proust il s’en foutait de ce que les mots voulaient dire – ce qu’il regardait et écoutait la forme que prenait les mots sur le papier – les mots de Proust qui semblaient jouir de leur propre forme – comme le feu jouit de sa forme – bon je disais que partout derrière les mots de Proust il y a quelque chose de sexuel en train de mijoter -- encore une mauvaise métaphore – celle-à ne pas poursuivre – revenons à l’ombre des jeunes filles en fleurs – je disais que si on regarde – si on écoute ce beau titre si lyrique et si mélodique – on entend quelque chose d’autre -- on entend quelque chose plutôt érotique -- en tout cas voilà ce que moi j’ai entendu en lisant cette phrase – à l’ombre des jeunes filles en fleurs – moi j’ai entendu – dans le trou des jeunes filles en chaleur -- bon vous allez me dire que c’est moi le petit dégoûtant – le vieux pervers -- le maniaque du sexe qui se permet de tordre en torchon de mots la musique de Proust – fausse métaphore – mais on s’en fout – ce truand qui se permet de réduire une si belle phrase – qui ressemble à un mignon tableau de Fragonard – en un tableau dégueulasse de Hans Bellmer – vous me direz qu’on a pas le droit de faire ça à Proust – eh bien moi je vous dirai que Proust savait exactement ce qu’il faisait en nous faisant voir un tableau de Fragonard dans la petite phrase de son titre – car comme il l’avait si bien vu lui-même en passant la moitié de sa vie à regarder les tableaux des grands maîtres – les tableaux de Fragonard ne sont que des scènes de cul – des culs en chaleur cachés sous les amples robes des jeune filles sur les balançoires -- Proust avait compris tout cela – mais timide et nocturne comme il était – et refoulé du sexe -- si on peut dire – il a caché tout cela dans la musique de ses mots -- comme s’il voulait nous endormir gentiment pendant que nous écoutions sa zizique -- ou plutôt -- jusqu’à ce que son livre nous tombe des mains – comme il est tombe des mains de Marcel – tout au début de l’histoire que nous raconte Proust il nous fait sentir la volupté de ses mots – il nous séduit

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